Podcast : Covid-19, un cas de force majeure ?

Après avoir analysé les principaux arrêts rendus dans le contexte d’épidémies dans nos épisodes précédents, il convient d’analyser si l’arrivée de la Covid-19 en France peut être considérée comme un cas de force majeure. Comme nous le verrons, la réponse à cette question dépend très largement des spécificités de chaque situation.

 

Episode 4 : « Covid-19, un cas de force majeure ? » par Pierre Laforêt


 

La réflexion que nous partageons avec vous se limite uniquement à l’application du régime légal de la force majeure aux contrats privés en cours d’exécution au début de l’épidémie et à l’aménagement contractuel de la définition de la force.

 

Dans cet épisode, nous n’évoquerons pas :

  • Les conséquences de la force majeure qui seront traitées dans le podcast suivant ;
  • Les marchés publics pour lesquels le gouvernement a d’ores et déjà indiqué qu’il considèrerait la situation actuelle comme un cas de force majeure et renoncerait à appliquer des pénalités (https://www.vie-publique.fr/discours/273885-bruno-le-maire-090322020-coronavirus). Ces déclarations ne liant pas le juge, il faudra être attentif à la jurisprudence administrative.

 

Etat du droit : définition, fondement et conditions

 

Traditionnellement, la jurisprudence exigeait qu’un événement présente trois caractéristiques cumulatives (extériorité, imprévisibilité et irrésistibilité4) pour être considéré comme un cas de force majeure.

 

A l’occasion de la réforme du droit des obligations de 2016 (Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations), le législateur a introduit, au premier alinéa de l’article 1218 du Code civil, une définition légale de la force majeure :

 

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».

 

Sur le fond, la définition légale reprend les trois conditions jurisprudentielles cumulatives, même si la terminologie de l’article 1218 du Code civil est légèrement différente. Ainsi, pour qu’un cas de force majeure soit établi :

  • L’événement doit échapper au contrôledes parties ;
  • L’événement doit être imprévisibleau moment de la conclusion du contrat ;
  • Ses effets ne doivent pas pouvoir être évités par des mesures appropriées et l’exécution du contrat doit être rendue impossiblepar la survenance de l’événement.

 

De plus, si le droit français organise les conditions de la force majeure, il laisse également la possibilité aux parties d’aménager contractuellement leur propre définition.

 

Les aménagements contractuels de la définition légale de la force majeure

 

En principe, les parties à un contrat peuvent adopter leur propre définition de la force majeure. D’une part, elles peuvent convenir qu’un événement donné, quand bien même il ne réunirait pas les conditions légales de la force majeure, sera considéré comme un cas de force majeure.

 

A l’inverse, les parties peuvent décider de réduire le champ de la force majeure en excluant certains événements qui répondent pourtant à la définition légale de la force majeure ou en stipulant des conditions supplémentaires. Ce type de stipulation est, en principe, licite (Cour de cassation, 3ème chambre civile, 7 juin 1989, pourvoi n° 87-19560).

 

En revanche, dans un contrat conclu avec un consommateur, une telle clause pourrait être remise en cause sur le terrain des clauses abusives. En effet, il a été jugé que la clause qui assimile à des cas de force majeure des circonstances qui ne sont pas acceptées comme telles par le droit positif est abusive en ce qu’elle étend les possibilités du professionnel de se désengager de ses obligations (Cour d’appel de Versailles, 22 mai 2005, 3ème chambre civile, n° 03-07266).

 

Application au Coronavirus

 

Si un contrat en cours contient une clause de force majeure, il convient en premier lieu de se référer à ladite clause pour vérifier si les parties ont entendu qualifier ou non les épidémies et/ou les mesures sanitaires de cas de force majeure.

 

En revanche, il convient de se référer à la loi et la jurisprudence :

  • Si la clause n’exclut, ni ne vise les événements actuels ;
  • Si la clause renvoie à la définition légale ;
  • En l’absence de clause.

 

Selon les cas, l’événement à considérer sera l’épidémie elle-même ou les mesures sanitaires prises pour y remédier.

 

Par ailleurs, il faut rappeler qu’aucun événement n’est, en soi, constitutif d’un cas de force majeure. Il convient de vérifier, au cas par cas, si chacun des critères de la force majeure est établi.

 

  1. En premier lieu, l’épidémie en elle-même, ainsi que les mesures sanitaires prises pour y remédier échappent bien au contrôle des parties. Ainsi, par exemple, aucun cocontractant privé n’a de contrôle ni sur la propagation du virus, ni sur la mise en place des mesures interdisant certains commerces d’accueillir du public (Arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19). Devant les juridictions, le critère d’extériorité pose rarement difficulté. C’est davantage sur les questions d’imprévisibilité et d’irrésistibilité que se focalisent les débats.

 

  1. Pour apprécier si la condition d’imprévisibilité est satisfaite, il faut toujours se placer au jour de la conclusion du contrat. Cette notion peut faire l’objet de débats, notamment dans le cas où les parties engagent des relations commerciales non-formalisées puis signent un contrat rétroagissant au début des relations commerciales.

 

Dans le cadre de l’épidémie de Covid-19, il est délicat de déterminer la date à partir de laquelle l’épidémie et les mesures sanitaires étaient prévisibles. Les juridictions pourraient prendre en compte la date :

a. Des premiers cas survenus en Chine ;
b. De l’apparition de l’épidémie sur le territoire français ;
c. Du moment où l’ampleur de l’épidémie a été portée à la connaissance des cocontractants ; ou encore
d. De la mise en œuvre des premières mesures sanitaires par le gouvernement.

 

Il est probable que la condition d’imprévisibilité sera établie pour les contrats signés avant l’apparition de l’épidémie en Chine que l’on peut situer entre le 17 novembre 2019 et le 1er décembre 2019 (Un rapport non publié du gouvernement chinois indique la date du 17 novembre 2019 pour la première occurrence connue de la maladie ; puis ce gouvernement donne officiellement à l’OMS la date du 8 décembre ; enfin un article publié le 24 janvier 2020 par des scientifiques chinois donne la date du 1er décembre 2019 pour le premier cas).

 

A l’inverse, cette condition ne pourra assurément pas être démontrée pour des contrats conclus après la mise en place des principales mesures sanitaires en France (Arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19).

 

En revanche, demeure une « zone grise » allant de l’apparition du virus en Chine jusqu’aux premières mesures sanitaires. Pour les contrats conclus pendant cette période, la condition d’imprévisibilité fera l’objet de débats nourris devant les juridictions.

 

  1. La condition d’irrésistibilité sera probablement considérée comme établie dans le cas où une des parties devant exécuter personnellement une prestationont été empêchées par l’effet de la contamination par la Covid-19. En effet, la contamination entraîne a minima un confinement du malade et, dans certains cas, une impossibilité physique d’exécuter la prestation. A ce sujet, la jurisprudence considère que la condition d’irrésistibilité est établie lorsque l’inexécution est liée à l’incapacité physique causée par la maladie du débiteur de l’obligation (Cour de cassation., Assemblée plénière, 14 avr. 2006, n° 02-11.168).

 

Cette condition pourrait également démontrée lorsque l’exécution est empêchée par le « fait du prince » (i.e. lorsque les mesures sanitaires prises par le gouvernement rendent impossibles l’exécution). Dans ce cas, le débiteur de l’obligation ne peut pas contourner la règlementation pour exécuter son obligation. Par exemple, l’organisateur d’un concert ne peut exécuter ses obligations sans violer l’interdiction d’organiser « tout rassemblement, réunion ou activité mettant en présence de manière simultanée plus de 100 personnes en milieu clos ou ouvert […] » édictée par l’article 2 de l’arrêté du 14 mars 2020.

 

S’agissant du SRAS (une autre forme de Coronavirus), la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 8ème chambre., section A, 29 juin 2006, n° 04/09052) a jugé que les risques sanitaires liés à cette maladie ne constituaient pas un cas de force majeure rendant impossible l’exécution d’un contrat signé le 26 mars 2002 et ayant pour objet l’organisation d’un voyage en Thaïlande du 14 au 25 avril 2003.

 

A ce titre, on peut légitimement s’interroger sur le fait de savoir si la préexistence d’autres formes de Coronavirus tels le SRAS ou le MERS-CoV rend ipso facto prévisible la survenance de l’épidémie de Covid-19.

 

A ce jour, un seul arrêt s’est prononcé sur l’épidémie actuelle de Covid-19. La Cour d’appel de Colmar (Cour d’appel de Colmar, 6ème Chambre, 16 mars 2020, n° 20/01142) a considéré que l’absence de comparution d’un étranger placée en situation de rétention administrative à une audience tenue le 16 mars 2020 était justifiée par un cas de force majeure.

 

La Cour a jugé que : 

 

« compte tenu de la pandémie COVID-19 en cours, et bien qu’en l’état de nos informations, aucun cas n’ait été confirmé parmi les retenus, la situation demeure très évolutive, avec l’imminence possible de mesures de confinement, et marquée d’ores et déjà par un passage au stade 3 impliquant une circulation active du virus, de surcroît dans les départements […] et du Bas-Rhin, qui constituent des foyers particulièrement notables de l’épidémie, caractérisée par un degré de contagion important et de nature à faire courir des risques réels et suffisamment sérieux à l’ensemble des personnels requis pour assurer la tenue de l’audience en présence du retenu ».

 

Toutefois, cette solution a été rendue en matière de droit des étrangers et dans des circonstances très particulières. Dans ces conditions, elle ne saurait être transposée en matière contractuelle.

 


 

Interfaces est le podcast d’information et d’analyse des sujets-clés du droit de la distribution, de la franchise et de la concurrence animé par Helen Coulibaly-Le Gac et Pierre Laforêt du cabinet HLG avocats.

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