Interfaces est le podcast d’information et d’analyse des sujets-clés du droit de la distribution, de la franchise et de la concurrence animé par Helen Coulibaly-Le Gac et Pierre Laforêt du cabinet HLG avocats.
Episode 2 : « COVID-19 vs Dengue, un virus récurrent – pas de force majeure » par Pierre Laforêt
A l’occasion de la propagation du virus de la Dengue en Martinique, la Cour d’appel de Nancy a jugé, dans un arrêt du 22 novembre 2010 (Cour d’appel de Nancy, 1ère chambre civile, 22 novembre 2010, n° 09/00003), que la force majeure ne pouvait être admise dans l’affaire en cause car le virus était récurrent et que des mesures de protection existaient pour lutter contre ce dernier.
Un bref rappel des faits …
Le 23 mars 2007, le comité d’entreprise de la clinique de traumatologie et d’orthopédie de Nancy achète auprès de la société Prêt à partir un forfait touristique pour vingt personnes au prix de 28 735 euros. Le séjour devait se dérouler en Martinique du 25 octobre au 1er novembre 2007. Pour valider sa commande, le comité d’entreprise verse un acompte de 6 000 euros.
Le 18 octobre 2007, invoquant une épidémie de dengue survenue en Martinique peu avant le départ, le comité d’entreprise assigne le vendeur du forfait touristique en résolution du contrat et sollicite la restitution de l’acompte. Son action est jugée irrecevable.
Le 10 mars 2008, le vendeur assigne le comité d’entreprise en paiement du solde. En défense, le comité d’entreprise soutient alors que l’épidémie est un cas de force majeure puisqu’elle est survenue en Martinique en septembre 2007, soit après la conclusion du contrat.
En première instance, le Tribunal de grande instance de Nancy juge que l’épidémie de dengue :
- N’est pas imprévisible « en raison du caractère endémo‐épidémique de cette maladie dans cette région » ;
- N’est pas irrésistible « eu égard à l’existence de moyens de prévention ».
La Cour d’appel rejette également la force majeure.
Concernant l’imprévisibilité, la Cour relève que cette maladie virale très répandue est apparue pour la première fois en 1779 et réapparait à intervalles réguliers depuis le début des années 1980 dans la zone intertropicale. La Cour d’appel note que « ce phénomène épidémique présente un caractère récurrent, notamment dans les Antilles françaises ». La Cour juge que la survenance de cette épidémie n’étant pas un phénomène nouveau, celle-ci n’est pas imprévisible et ne constitue donc pas un cas de force majeure.
En outre, pour conclure que l’épidémie de dengue ne présente pas le caractère d’irrésistibilité, la Cour note que :
- Dans le cadre de l’épidémie 2007, cette maladie n’a concerné que 5% de la population ;
- Des mesures de protection individuelles permettent de limiter les risques d’infection (notamment : utilisation de moustiquaires et de répulsifs, port de vêtements longs) ;
- Cette maladie ne présente pas de complications dans la majorité des cas.
Cet arrêt, bien qu’il rejette la force majeure, pourra être utilisé pour raisonner a contrario dans le cadre de l’épidémie de Covid-19. En effet, les plaideurs pourront tenter de faire valoir que l’épidémie actuelle constitue un cas de force majeure en soutenant que, à l’inverse de la dengue, celle-ci :
- Est imprévisible parce qu’il s’agit d’un nouveau virus et non d’une endémo-épidémie ;
- Est irrésistible dans la mesure où (i) au moment de la survenance de l’épidémie, aucun moyen de protection satisfaisant n’était disponible et (ii) que la maladie présente des risques de complication dans un nombre relativement élevé de cas.
