Podcast : Épidémie de Chikungunya, un virus qui se soigne. Force majeure ou pas ?

A l’occasion de l’épidémie de chikungunya, la Cour d’appel de Basse-Terre a rendu un arrêt du 17 décembre 2018 (Cour d’appel de Basse-Terre, 1ère Chambre, 17 décembre 2018, n° 17/00739) dans lequel elle considère que la force majeure n’est pas acquise si le virus n’est “généralement” pas mortel ou, à tout le moins, n’entraine “généralement” pas de complications sévères chez les patients.

 

Episode 3 : « Épidémie de Chikungunya, un virus qui se soigne. Force majeure ou pas ? » par Helen Coulibaly-Le Gac

 

 

Un bref rappel des faits …

 

Le 23 décembre 2013, les sociétés American Express Vacations et Personal Travel Club, en qualité d’agences de voyage, effectuent une réservation de séjour touristique auprès de la société Guanahani et Spa pour le compte de leurs clients respectifs. Le séjour est prévu du 5 au 16 janvier 2014 sur l’île de Saint Barthélémy. Le séjour d’un montant global de 29 506 euros est intégralement payé par les clients.

 

Cependant, informés de l’arrivé de l’épidémie de chikungunya sur l’arc antillais, le 4 janvier 2014 (soit la veille du départ), les clients annulent la réservation et demandent le remboursement du prix du séjour (29 506 euros). La société Guanahani et Spa refusant de rembourser les clients, ces derniers l’assignent devant le Tribunal de grande instance de Basse-Terre le 30 juin 2014.

 

Les clients soutiennent que l’annulation du séjour est justifiée par l’épidémie de chikungunya en cours à Saint Barthélémy, cette épidémie revêtant, selon eux, les caractéristiques de la force majeure.

 

En première instance, le Tribunal fait droit à la demande des clients mais sur le terrain du droit de la consommation. En effet, une clause insérée dans un contrat de consommation qui irait au-delà de ce que prévoit la loi ou la jurisprudence en matière de force majeure serait probablement vue comme abusive par une juridiction. C’est-ce que juge le Tribunal grande instance de Basse-Terre en considérant que le contrat passé entre l’hôtel et deux personnes physiques est régi par le Code de la consommation et qu’à ce titre, la clause excluant tout remboursement du séjour la veille du départ, quelle qu’en soit la cause, est abusive.

 

Cependant, au cas d’espèce, la Cour d’appel ne va pas appliquer le Code de la consommation mais considère qu’il s’agit d’un contrat conclu entre deux professionnels, l’hôtel d’une part et les agences de voyage d’autre part. Partant, la Cour d’appel va infirmer la décision de première instance considérant que les conditions de la force majeure n’étaient pas réunies.

 

Ainsi, sur la force majeure, la Cour d’appel juge qu’en dépit des symptômes du chikungunya parfois éprouvants (douleurs articulaires, fièvre, céphalées et fatigue) et de sa présence dans tout l’arc antillais, l’épidémie ne constitue pas un cas de force majeure dans la mesure où cet événement n’était ni imprévisible, ni irrésistible.

 

Concernant l’imprévisibilité, la décision n’est pas motivée. Néanmoins, on peut penser que la Cour a pris en considération le fait que le chikungunya n’était pas une maladie nouvelle au moment de la conclusion du contrat dans la mesure où :

  • Le virus a été isolé pour la première fois en 1952 (Robinson MC, An epidemic of virus disease in Southern Province, Tanganyika Territory, in 1952-53—1: Clinical features, Trans R Soc Trop Med Hyg, 1955;49:28) et
  • L’Institut de veille sanitaire a commencé à éditer des bulletins hebdomadaires sur la situation épidémiologique du chikungunya dans les Antilles à partir du 11 décembre 2013 (« Situation épidémiologique du chikungunya dans les Antilles. Points hebdomadaires. », sur www.invs.sante.fr.)

 

S’agissant de l’irrésistibilité, la Cour considère que l’épidémie n’était pas irrésistible « puisque dans tous les cas, cette maladie soulagée par des antalgiques est généralement surmontable (les intimés n’ayant pas fait état d’une fragilité médicale particulière) et que l’hôtel pouvait honorer sa prestation durant cette période ».

 

Ainsi, le fait que le chikungunya puisse être mortel dans des cas rares et sur des individus fragiles ne suffit pas à établir le caractère d’irrésistibilité, la Cour relevant que le virus était « généralement surmontable ». De façon intéressante, la Cour relève que les clients ne présentaient pas de fragilité médicale particulière. Cela sous-entend peut-être que cette condition aurait pu être établie si les clients étaient âgés ou atteints d’une pathologie grave et avaient mis en avant cette raison pour refuser le voyage, le cas échéant, à l’appui d’un certificat médical. Cet arrêt démontre à nouveau que les caractéristiques de la force majeure s’apprécient de manière stricte et qu’elle s’analyse au cas par cas, chaque situation étant différente.

 


 

Interfaces est le podcast d’information et d’analyse des sujets-clés du droit de la distribution, de la franchise et de la concurrence animé par Helen Coulibaly-Le Gac et Pierre Laforêt du cabinet HLG avocats.

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